textes
You are finally awake, traveler.
Good, we need your help. There is a place, not that far, where it is said we can find a magical artifact. Can you go there and get it for us ?
But whatch out, it’s tricky around here. You might lost your landmarks. Time seems upside down and objets are not what they seem. Some say they might be kind of alive. Are they aliens, shapeshifters or petrified beings ? who knows...
Be careful, explore those lands and bring us back magic !
Go and seek, we believe in you.
Ambiance post-indus. Vous passez une grande porte grise et traversez un corridor grillagé. Au bout, un escalier de métal. Vous l’empruntez, et en gravissant les marches cernées de bâche, vous vous sentez l’âme d’Amanda Ripley, errant dans la station Sébastopol en quête d’une boîte noire1. Un peu inquièt.e, vous guettez ce qui vous attend en haut de ces marches, et à mesure que vous montez, vous apercevez une forme massive, grise et rouge, qui vous surplombe. Vous entrez dans « Prospective Paresseuse », exposition de Cédric Esturillo aux ateliers Vortex.
Vous observez autour, en quête d’indices. L’époque des objets qui vous entourent est mystérieuse, l’atmosphère est lourde. Il fait rouge et gris, la lumière est bâchée. Des formes à la fois minérales et organiques sortent de terre. Vous faites toujours face à la sculpture qui vous a acceuilli.e, I.N.R.S.M. , sorte d’autel-comptoir-cheminée semblant fait de pierre, orné d’un bas relief fait de mains coupées, fraîchement saignantes. Doigts et crêtes torturées émergent carrément du comptoir, poussant sous sa surface – serait-ce le malheureux destin de celleux qui ont érigé ce monument, ou bien une mise en garde ? Des pics vous surplombent, cerclant la cheminée de cet étrange monument. Vous vous approchez quand même, découvrez que la pierre n’est autre que du bois peint et une étrange céramique posée sur le comptoir.... preuves autant que troubles pour la quête temporelle que vous menez ici. Êtes-vous face à des restes d’une civilisation disparue ? Rien n’est moins sûr.
En parcourant l’exposition, vous vous rendez bien compte que I.N.R.S.M. a donné le ton. L’espace alentour semble s’organiser avec un motif commun. Formes et objets se répondent, leur provenance et leur datation sont ambiguës. Sorties de terre ou embarquées d’un ailleurs avec leur sol, les sculptures de Cédric Esturillo mélangent et citent des esthétiques distinctement reconnaissables – mobilier gallo-romain, architecture industrielle, medieval fantasy ou dark science-fiction – pour néanmoins semer la confusion dans nos esprits. De quoi, de quand ces sculptures sont-elles témoins ?
Tout semble presque en ruine, figé dans la raideur du MDF et la couche de peinture effet pierre. Sauf que cela semble bouger, que la chair rouge du bois teinté entame une sortie de sa pétrification, tel l’entrelacs de mains de Nostromo. Sous la pierre, un charnel à vif presque cronenbergien fait muter les décombres. Ceci dit, cette même main, à peine sortie, se trouve réceptacle de chaînes et d’agglomérats de coquillages. La transition semble alors permanente, pierre devenant chair devenant reliquaire. A force de trouble, on comprend bien que dans Prospective paresseuse, le temps est donc bien une donnée centrale, autant que celle de la fiction.
La question du quand se double alors d’une quête des secrets que renferment les objets. Disséminées dans l’exposition, elles-mêmes posées sur d’autres oeuvres, des céramiques aux allures de parasites aliens gothiques renferment des fioles de sérum physiologique, devenu un précieux liquide encapsulé dans son écrin. Un liquide aujourd’hui aisément acquérable devient alors une fiole magique. À quel moment est-il donc devenu une denrée si rare qu’on en fait une inestimable relique ? Se dessine alors le scénario d’un futur post-apocalyptique, où l’eau, même salée, ne se trouve plus qu’en fioles, où pollution, fumigènes et pourquoi pas tempêtes stellaires ne laissent à nos yeux aucun répit.
Quelque chose s’est passé, qui ressemble plus à une usure qu’à une déflagration. En témoignent les lambeaux de bâche pendants aux barreaux déformés de grilles qu’il nous semble avoir déjà vu à l’entrée du site. Dans ce futur, plus ou moins proche mais définitivement rétro, la joaillerie bon marché nineties se charge de spiritualité. On jette une pièce dans le réceptacle de Billie - bénitier de céramique aux allures de divinité aquatique – et on souhaite de tout coeur que l’avenir ne soit pas trop sombre, l’environnement trop hostile à la vie. Des traces en subsistent, l’habitation est possible. Il y a encore quelqu’un dans le vaisseau : une table nous attend.
La table appendice n’est néanmoins pas très rassurante, sous son allure de mobilier mutant. Sa base coralienne et son plateau-placenta donnent l’impression qu’elle est prête à engloûtir ce qui s’y trouve. Dessus, un cendrier et des verres en métal nous laissent pourtant penser que l’on pourrait s’y installer, ou que quelqu’un.e vient tout juste de quitter les lieux. Au design rudimentaire, semblant avoir été fait dans des pièces automobiles, ces objets usuels laissent penser à un futur rafistolé plus qu’high-tech et clinquant. Se pourrait-il que les verres contiennent « L’Épice », substance aussi rare que précieuse en provenance d’Arrakis2 ? Le cendrier, quant à lui, fait aujourd’hui figure d’anachronisme dans un lieu public. Mais qu’importe, installons nous confortablement dans un futur post-apocalyptique eighties. La boucle serait bouclée, on reviendrait sur nos pas dans la base Sébastopol, avec ses cartes à puces et téléphones filaires. La prospection aura été courte, puisqu’elle nous aura ramené.e.s dans le temps. Il semble cependant quelque peu risqué de se complaire dans la rétrospection – la créature rôde toujours dans les couloirs.
Au coeur de cette atmosphère rétrofuturiste sombre, Cédric Esturillo nous donne précisément à réfléchir sur l’idée que l’on se fait du futur et sur les représentations dont cette projection est pétrie. Ses ruines et reliques sont elles-même des représentations, aussi dark que pop, et hybrident des codes visuels couvrant plusieurs siècles. Plus que le futur, nous nous trouvons dans le décor que la science fiction et la fantasy lui ont imaginé il y a de cela plusieurs dizaines d’années. C’est dystopique mais rien ne s’effondre, à part peut-être notre prise sur le réel et sur le temps présent. Nous voilà donc coincé.e.s dans une reconstitution de futurs qui ne sont pas advenus, un cimetière pop. C’est alors là que la prospection relèverait d’une certaine paresse, que le titre élusif et oxymorique prend tout son sens. La proprention à imaginer le futur se retrouve, telle cette chair imbriquée dans la pierre, cantonnée à recycler le passé comme un style qui évoquerait, de fait, un rétrofuturisme. Serait-on en train de constater la « lente annulation du futur » formulée par le philosophe Mark Fisher3 ? Hanté par le passé, imbibé de « nostalgie formelle »4, le futur bouclerait, perdant de sa substance à chaque révolution. Indolemment, on accepterait alors de se laisser couler dans le reconnaissable, quitte à ce qu’il soit sombre et inhospitalier.
Entre de divers et lointains dark ages5, et le pendentif dragon star des nineties, on pourrait presque y croire. Sauf que quelque chose coince, il y a un grain de sable dans ces rouages nostalgiques. On se pique à un chardon sec et l’on se réveille. Nous l’avons dit, nous sommes dans un décor, une fiction, qui assume pleinement sa facticité comme la peinture pierre affirme son trompe-l’oeil. Mais loin de nous offrir une fiction purement dystopique ou bien même un constat d’un monde en dérive, Cédric Esturillo nous ouvre une brèche, pour ne pas sombrer dans une torpeur certes rassurante, mais mortifère. Dans le futur de « Prospective Paresseuse », les choses bougent encore. Le corps n’est ni augmenté par la technologie, ni par une substance extraterrestre, mais il fait tenir les choses entre elles. Mieux, il en sort, à vif et grouillant de vie. On trouve là une forme de spiritualité, de lien entre matière vivante et inerte, que les céramiques reliquaires ne viendront pas contredire. Et si les sculptures peuvent sembler des tombeaux, elles sont pour autant déjà devenues le socle d’autres histoires, accueillant d’autres sculptures ou devenant mobilier.
Dans l’exposition, formes, objets et matières sont, plus qu’en mutation, en transition. Le serpent qui a abandonné sa mue dans Shai-Hulud peut alors se lire comme un signe, celui d’une perpétuelle transformation. La magie que l’on nous sommait de chercher en introduction ne réside peut-être pas dans un artefact, et sa quête est peut-être vaine. Néanmoins, les possibilités restent ouvertes pour sortir de notre torpeur, et c’est peut-être cette idée de mouvement, de retournement des choses qu’il nous faut continuer de chercher.
1 Amanda Ripley est l’héroïne du jeu vidéo de survival horror Alien Isolation, sorti en 2014 et faisant suite au film de 1979 Alien, de Ridley Scott. Amanda cherche les traces de sa mère sur une station orbitale endommagée et dont les communications ont été coupées, en étant traquée par le mythique Alien.
2 L’Épice est une mystérieuse substance décuplant les capacités du corps et de l’esprit, en provenance de la planète Arrakis, ou Dune, dans le roman de science-fiction éponyme de Franck Herbert. Le premier roman de ce cycle a été publié en 1965, et une nouvelle adaptation cinématographique sort ce mois-ci en salles.
3 Fisher parle de « slow cancellation of the future » à propos de productions audiovisuelles qu’il définit comme « hantologiques », c’est à dire contemporaines mais employant des éléments et/ou techniques du passé dans un but stylistique. Ces formes, selon lui, ne promettraient que réitération et repermutation (voir Mark Fisher, Ghosts of my life, Writings on depression, hauntology and lost futures, Zero Books, 2014).
4 terme emprunté à Fredric Jameson, la « nostalgie formelle » ou « formal nostalgia », n’est pas une nostalgie qui aurait pour objet une période révolue. Sans sens historique, elle s’attacherait plutôt à des formules esthétiques du passé, ne serait pas créatrice.
5 L’appellation « dark ages », ou « âges sombres », pour désigner une période funeste de l’histoire d’un peuple ou d’un pays. Elle a souvent été employée pour mentionner le Moyen-Âge, vision néanmoins de plus en plus remise en cause par les historien.ne.s.
Carin Klonowski,
septembre 2021, pour Prospective paresseuse
Cédric Esturillo pratique l'alliance baroquisante du brut et du raffiné, de l'artisanat et du camp (ce kitschaffecté et sur-joué auquel Susan Sontag consacrait ses Notes on Camp en 1964) dans ses installations-boudoirs un peu déglinguées et décadentistes. Tableaux en faux marbres et en néons, paravents, cendriers filiformes noirs et mauves sont autant d'objets ostensiblement décoratifs, parfois au point de se confondre avec les murs. On ne cesse de se demander s'ils ne sont pas censés servir à quelque chose, tout en ne servant à rien. Une poétique de l'anti-design utilitaire en quelque sorte.
Morgan Labar,
juillet 2020, pour ArtPress 479
Au premier abord, les installations de Cédric Esturillo frappent par une générosité visuelle volontairement séduisante : environnements luxuriants aux couleurs bigarrées, elles soutiennent et aguichent, même, le regard. Des jeux de ressemblance s'y font jour : ne croit-on pas déceler certains motifs à travers l'opulence des formes, le foisonnement des matières et la superposition des techniques? Ne serait-ce pas..? Par une pratique du prélèvement et de la captation, il vient inscrire
dans ses sculptures des citations qui interpellent et mobilisent spontanément des imaginaires variés. Qu'il s'agisse d'architecture molle californienne (architecture googie ) ou de thèmes de sciencefiction, cette appropriation indicielle va puiser tout autant dans l'histoire de l'art, de l'architecture et de l'artisanat que dans des objets culturels marginaux et localisés. Pourtant, il ne s'agit pas ici de singer par itération formelle ou par simple fascination esthétique : le questionnement de l'original par sa copie vient travailler les cultures visuelles et leurs conditions d'apparition historiques. Par recoupements transtemporels et transculturels, Cédric Esturillo souligne les intersections des trajectoires de ces systèmes de production et de circulation des images. Leur apparition dans son travail relève d'une pratique de drag1 : travestissement qui revendique sa facticité, il informe sur la façon dont notre regard se forme par et pour la réception de tels ensembles culturels.
Pour sa première exposition personnelle, il prend pour point de départ l'ornement en tant que technique de superposition de motifs. Plus précisément, c'est la baroque sicilien qui vient infuser ses productions récentes et prend corps dans des vasques en bois sculpté, rehaussées de drapés et de plantes chatoyantes. La précision et la maîtrise des techniques de gravure et de sculpture dont il fait preuve n'effacent pas la superposition pop et le mix narquois des matériaux : tantôt bois brut, tantôt simple medium aggloméré. Pied-de-nez à la noblesse supposée de la matière et la grandiloquence historique du baroque, il s'empare d'une technique digitale contemporaine, le glitch, pour tenir en échec la lourdeur de la reproduction. Dans ses immenses tableaux mêlant faux faux-marbre, coulures roses fluo et imitations de céramique, il vient faire s'effondrer les textures et les motifs pour créer des effets de persistance rétinienne et d’aplatissement de la perspective. Cette mise en défaut des technologies optiques fait entrer en tension l'ornement et le bruit visuel et cherche leurs lieux de collision, de superposition, de glissement de l'un vers l'autre. Le regard, désorienté par la multiplication des couches d'appréciation et de lecture de ces objets, fonctionne alors par choix et révèle ses réflexes : que voit-on lorsqu'il y a trop à voir ? C'est ce dévoilement que l'artiste recherche, citant volontiers le bubble porn, pratique internet qui vient positionner sur des images de corps des cercles colorés sensés recouvrir une nudité obscène ou la nature sexuelle des interactions entre les sujets photographiés. Les photographies utilisées n'ayant en fait pas de caractéristiques érotiques, la superposition d'une abstraction révèle la perversité de l'esprit du regardant. Ce va-etvient entre systèmes d'abstractions, effets optiques et fabrication du regard est également présent dans les sculptures Danmaku que l'artiste a réalisé : basé sur une tradition de jeux d'arcade japonais 80s simulant des pluies d'obus numériques sur le joueur, et dont il doit parvenir à les éviter, il renoue avec le motif du bruit visuel en « douchant » des plaques de bois laqué de véritables balles.
Avec Délice sur Encelade, titre évocateur à la fois de la gigantomachie et des récentes découvertes spatiales humaines, Cédric Esturillo propose un voyage temporel suivant le principe de rétrocipation d'Arnauld Pierre, qui décrit dans « Futur Antérieur » la façon dont les processus d'anticipation de la science-fiction renseignent aussi sur l'époque qui les a vu naître, et tiennent le présent en question.
1 Voir Art Queer. Une théorie freak de Renate Lorenz (2018)
Thomas Conchou,
décembre 2018, pour La belle revue 9
Platon nous apprend que les choses sensibles imitent les Idées et les incarnent sous une forme matérielle. Ainsi des sculptures de l’artiste plasticien Cédric Esturillo. Ses objets sont fidèles à leurs « idées en soi » mais il les plonge dans un bain onirique qui ne permet pas systématiquement de les identifier précisément, ou immédiatement. Prenons l’exemple de la sculpture de son toucan, Tucana. Celle-ci est figurative, l’œil peut aisément la reconnaître, la classifier. Cependant, il y a toujours dans ses créations une ambiguïté dans leur incarnation modelée qui leur confère un statut d’ « objet intermédiaire». Souvent usuels ou décoratifs, ses constructions et assemblages possèdent en effet cette valeur de représentation volontairement floue qui ouvre la porte au territoire de la projection et de l’imagination. Il interroge par là-même l’imagerie limitée de certains clichés (le toucan comme symbole de l’exotisme ici déconstruit). Cédric Esturillo déplace ainsi sans cesse l’objet afin qu’il ne renvoie plus à sa donnée première. Il s’agit donc de sortir de représentations uniques, de distordre les formes pour toucher du doigt le fantasme. Il lui importe de produire des « images subliminales ». Sa sculpture "Touchstone" reprend par exemple le logo de la célèbre boîte de production des films des années 90 (une planète terre criblée d’éclairs). En la déclinant en volume et en céramique (trois différents grès), l’artiste s’approprie les codes d’une culture populaire en y ajoutant une dimension artisanale. C’est là une notion importante de son travail que de faire tomber le hiatus résiduel entre artisanat et art. Il veille en utilisant le bois ou la terre de Larnage, très peu utilisée (qui sert surtout à isoler les fours à céramique), à introduire une pérennité des œuvres et plus encore à s’inscrire dans une tradition des savoir-faire ancestraux. Les figures dérivées de Cédric Esturillo pourraient être tout aussi bien exposées dans un musée d’art contemporain, d’art moderne ou encore d’Histoire Naturelle. Son petit temple de terre Moloch Tongue en est la parfaite illustration. C’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art, Cédric Esturillo l’a bien compris. Il y apporte en tant que créateur une ambiguïté consciente qui corse davantage encore ce postulat.
Léa Chauvel-Lévy,
janvier 2018
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